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Tous les services de l’entreprise succombent aujourd’hui aux charmes, amis aussi aux contraintes de la dématérialisation.
Aussi, la nécessité d’uniformiser le processus et de le piloter de manière globale apparaît-elle de plus en plus prégnante.
De quoi justifier la création d’un poste de direction spécifique, ou à défaut d’un chef de projet , pour un rôle néanmoins plus temporaire que durable.
Le 30 novembre dernier, dans le cadre des 4es Assises du numérique, le ministre de l’Industrie, de l’Energie et de l’Economie numérique, Eric Besson, présentait officiellement le bilan du programme France Numérique 2012 et proposait de nouveaux objectifs à l’horizon 2020. En ce qui concerne le développement de l’administration électronique, ceux-ci étaient clairs : “100 % des démarches [administratives, ndlr] les plus attendues seront disponibles sur Internet” d’ici 2013, et d’ici 2020 “le papier devra être définitivement abandonné et l’intégralité des démarches administratives seront dématérialisées.”
Ni plus, ni moins ! Abolir purement et simplement l’utilisation du papier, c’est bien là toute l’ambition de la dématérialisation. Et pas seulement pour l’Etat puisque, s’adressant aux entreprises, le ministre ajoutait que “la maîtrise du numérique deviendra autant un enjeu de survie que de compétitivité”. Encore faudra-t-il être capable de mettre en œuvre ce processus…
Au milieu du gué Si la dématérialisation s’est installée en entreprise, dans les faits, les professionnels demeurent au milieu du gué. “Lorsque l’on ne s’affranchit pas totalement du flux papier, et que l’original reste le papier, on ne fait pas de la dématérialisation pure”, explique Charles du Boullay, directeur général de CDC Arkhinéo, filiale de la Caisse des dépôts. Etienne Plouvier, responsable des solutions dématérialisation chez Atos, un des géants du secteur, abonde en ce sens et pointe cette distinction : “Nous observons deux types de dématérialisation sur le marché : la dématérialisation simple où le document papier va servir d’original et de preuve devant un juge lorsqu’il y a un litige, et la dématérialisation fiscale où l’on va créer un document d’origine électronique qui aura valeur légale du consentement d’une personne, par exemple lors de la signature d’un contrat.”
Car supprimer le papier n’est en réalité pas si simple ! Si dans le premier cas, on se sert bien d’outils de numérisation et de dématérialisation des flux (e-mails par exemple) dans le but de simplifier les processus internes et de réduire les coûts, on ne peut s’affranchir totalement de la référence papier en cas de contrôle ou de procédure administrative. Le premier pas vers ce type de dématérialisation existe ainsi depuis le début des années 2000, sous le nom de GED, et consiste à faire circuler des documents électroniques dans l’entreprise au lieu des originaux papiers. Il suivait le mouvement initié au début des années 90 par les EDI. Ces échanges de données par voie électronique, de système d’information à système d’information, impliquaient encore “la conservation de l’original papier à valeur juridique pour les contrôles fiscaux”, rappelle Charles du Boullay.
La double contrainte, légale et technologique Le développement de la dématérialisation totale a été conditionné par une double contrainte. Légale tout d’abord avec l’ouverture progressive du cadre législatif européen entourant les documents à valeur de preuve : contrats, factures, relevés client. “Les lois ont précédé les usages, ce qui est très rare”, souligne Nathalie Schlang, directrice Marketing et Développement de CertEurope. En France, deux dates clefs ont dès lors permis la libéralisation du secteur. Le 13 mars 2000, l’application de la directive européenne sur la signature électronique a d’abord permis d’accorder la même valeur à un document électronique qu’à un document papier, avec les premières définitions d’une signature électronique notamment.
L’autre grande date correspond à la transposition en juillet 2003 de la directive européenne de décembre 2001 sur la facture électronique. Tout un arsenal de normes et de certifications vient compléter cet encadrement avec notamment la définition électronique de la fiche de paye en 2009 (NFZ42-025), mais aussi l’archivage (NFZ42-013) ou le coffre-fort numérique (NFZ42-020). Elles permettent de s’assurer de la conformité à un certain nombre de critères des solutions produites ou achetées.
L’autre obligation est d’ordre technologique. Les acteurs doivent de ce point de vue réunir les conditions de sécurité nécessaires à la mise en place de la dématérialisation. C’est le rôle des tiers de confiance dont fait partie Nathalie Schlang, qui explique que “si l’on veut vraiment supprimer le papier, il faut que l’on soit sûr que ces documents soient signés électroniquement et horodatés, ce qui permet de valider la traçabilité d’un document et garantir son intégrité”.
Plus qu’une simple réduction des coûts Dans ce contexte, la dématérialisation touche toutes les entreprises. Pourquoi un tel engouement ? Pour Etienne Plouvier, la dématérialisation demeure, même en ces temps de crise, “l’un des rares secteurs dans lequel les entreprises investissent encore, parce qu’elle génère des réductions de coûts”. Une réduction immédiate des frais liés à la consommation de papier, d’encre et de traitement d’abord, mais aussi de frais de mise sous pli, d’expédition, de transport ou de stockage.
Pourtant selon Charles du Boullay il existe d’autres avantages : “Paradoxalement, ces économies viennent presque après car les plus gros bénéfices concernent la manière de travailler, la qualité du travail et du service rendu, et la perception que va donner l’entreprise à ses clients.” La liste des avantages est longue : meilleure réactivité, valorisation qualitative du travail, développement de nouveaux services pour les clients, sans négliger la valorisation du patrimoine documentaire et l’impact favorable sur l’environnement !
La migration vers le “zéro papier” intéresse ainsi en premier lieu les secteurs qui consomment énormément de papier ou ceux qui impliquent de nombreux intermédiaires. Grande distribution d’abord, puis l’industrie et le secteur automobile habitués au travail collaboratif ont vite été imités par les banques, assurances, et autres opérateurs de service. Mais les grands groupes ne sont pas les seuls à être concernés. Dans les plus petites structures, générant beaucoup de petites commandes ou avec des clientèles nombreuses, la dématérialisation apporte aussi des économies en temps et en argent significatives. Charles du Boullay insiste sur ce domaine trop souvent négligé : “Dans le monde des petites PME et des TPE, il y a un secteur dans lequel il faut absolument dématérialiser, c’est la relation client.”
Par où commencer ? Au sein de ces entreprises, il reste encore à déterminer comment s’y prendre. Un constat partagé par Nathalie Schlang : “On se rend compte dans tous ces projets que les entreprises ont envie de dématérialiser, mais souvent elles ne savent pas par où commencer.” Historiquement, la dématérialisation était réservée au traitement des documents, qui constituait souvent la première étape du processus. Logique, puisque sa fonction première est bien de simplifier l’accès aux documents numérisés, d’automatiser leur indexation, et de sécuriser leur archivage et leur stockage.
Cependant, même cette gestion des documents est en train d’évoluer vers des politiques de gestion des connaissances, en créant un accès central aux ressources intellectuelles. Côté commercial, les habitudes sont également en train de changer, poursuit Nathalie Schlang, car “le retour sur investissement de la signature de contrat en ligne est immédiat car elle permet de limiter les pertes et les abandons de procédures”.
“Même le marketing commence à s’y mettre, car ces services comprennent que c’est un moyen d’accélérer les ventes et ne considèrent plus la dématérialisation comme un outil uniquement administratif”, ajoute-t-elle. Dernièrement ce sont les ressources humaines qui ont à leur tour été au cœur de ces problématiques, avec l’apparition d’une dématérialisation complète du dossier du salarié, au-delà de celle du bulletin de paye. De façon générale, tous les collaborateurs de l’entreprise sont donc en train de s’approprier ces nouveaux usages.
Et les champs d’application de la dématérialisation apparaissent désormais extensibles dès qu’il existe des documents en circulation. Elle concerne maintenant l’ensemble des échanges internes : achats, du bon de commande émis, au paiement, en passant par la facture, mais aussi production, gestion, comptabilité et finances. Aucun service n’y échappe ! En externe, elle touche en premier lieu les échanges avec l’administration fiscale. Sylvain Arquié confirme : “La dématérialisation s’est imposée sur toute la chaîne de la gestion, et impacte aussi bien l’entreprise en interne, que dans ses rapports avec ses fournisseurs, ses sous-traitants ou l’administration.”
A sujet transverse, direction transverse Tout ce beau monde doit donc être impliqué, mais de façon coordonnée. En effet, la dématérialisation est une chaîne qui impose que chacun puisse communiquer avec les autres. “Il faut veiller à la connexion avec les autres systèmes d’information : gestion des stocks, achats, etc.”, considère Nathalie Schlang. Par ailleurs, l’intégration d’un tel processus entraîne des problématiques transverses, allant de l’étude, à la conduite du changement, en passant par l’analyse légale et la mise en place de solutions techniques. “Il faut un dialogue entre ces différentes compétences techniques et légales pour mettre en place ce type de processus”, affirme ainsi Etienne Plouvier.
Ce qui n’est malheureusement pas toujours le cas : “Aujourd’hui, dans les entreprises, on envisage la dématérialisation par compartiments : contrats, bons de commande, factures, documentation interne, alors qu’il faudrait la concevoir comme une chaîne et intégrer par exemple la dimension d’archivage”, regrette ainsi Nathalie Schlang. Pourtant les solutions techniques sont adaptées : “Il peut y avoir des contraintes technologiques liées au défaut d’équipement, mais aujourd’hui les solutions existent et sont de plus en plus simples et abordables à mettre en place, dans la mesure où beaucoup sont en mode SaaS”, ajoute-t-elle.
Cette transversalité demande enfin une volonté et une implication forte de la part de la direction. “Pour que cela fonctionne il faut qu’il y ait un patron ou un chef de projet, porté par la direction”, explique Charles du Boullay, avant d’évoquer la nécessite de “faire un effort pédagogique auprès des salariés” car “ils ne voient pas forcément le côté retour sur investissement qu’apporte la dématérialisation.”
La dématérialisation ne doit surtout pas être perçue comme un risque pour leur emploi. Pour Nathalie Schlang, cette résistance “culturelle” au changement est normale : “Les principaux freins sont les difficultés à changer les habitudes, mais aussi le besoin d’accompagnement et de formation des utilisateurs une fois que le projet est mis en place.” La décision de l’implantation par la direction doit ainsi être adoptée par les employés pour son bon déroulement. “Il faut susciter l’adhésion, former correctement les gens, et leur expliquer pourquoi cela va enrichir leur travail et ne pas être forcément facteur de licenciement”, note Sylvain Arquié.
Pour éviter que chacun ne dématérialise dans son coin, s’impose la nécessité de structurer et d’encadrer ces démarches. Ce qui n’empêche pas de sélectionner quels services devront lancer le processus de dématérialisation, avant de l’étendre éventuellement à l’ensemble de la structure. Reste une question : à qui confier de tels projets au sein de l’entreprise ? Premier écueil selon Etienne Plouvier : “Il faut prendre en compte la dimension multidisciplinaire de la dématérialisation et ne pas tomber dans des projets impliquant uniquement la direction informatique, marketing ou commerciale.”
Pour que chacun se sente concerné, créer une direction de la dématérialisation se justifie dans certains cas, selon Sylvain Arquié : “Cela dépend de la taille des entreprises. Pour qu’une chaîne de dématérialisation fonctionne, il faut que tout soit en corrélation, en harmonie, avec des normes identiques, pour que tout puisse communiquer. Une direction de la dématérialisation proprement dite peut donc être pertinente dans les grands groupes.” Ce besoin de complémentarité justifie aussi une telle direction pour Nathalie Schlang : “Ces directions paraissent logiques, car si la mise en place est uniquement confiée à la Direction des systèmes d’information, elle sera forcément moins concernée par certains aspects, comme le juridique, par exemple.”
Néanmoins cette idée ne fait pas l’unanimité. Pour les autres, la méthodologie imposée (analyse des besoins, modélisation, implémentation technique du processus et accompagnement du changement humain) s’apparente plutôt à une gestion en mode projet. Pour sa part Sylvain Arquié développe sa propre vision d’une telle équipe : “Plutôt une structure relativement petite, mais qui par contre doit avoir un ou plusieurs correspondants dans chaque service transverse.”
Charles du Boullay précise : “Sur le plan technique, ces projets sont portés par les directions informatiques”, ajoutant que “l’informatique est plutôt l’exécutant, mais cela peut être piloté par le fonctionnel.” C’est aussi une question de taille : “Dans le cas de moyennes et grosses PME, ces projets sont directement portés par la direction générale”, complète-t-il, avant de s’interroger sur la pertinence de telles structures à long terme, tant la dématérialisation sera omniprésente : “La dématérialisation va devenir tellement naturelle, qu’à un moment donné un directeur de la dématérialisation n’aura plus tellement de sens.”
3 questions à Sylvain Arquié, président de Groupe Solutions et Infopromotions, et directeur du salon Solutions-Dématérialisation*
“Il n’y a pas de bastions de résistance”
Dans quellesmesure la fonction de directeur de la dématérialisation se développe-t-elle ? Aujourd’hui, il existe assez peu de professionnels arborant un titre de directeur de la dématérialisation. Mais si le titre est rare, la fonction elle, existe bien. Il y a bien évidemment dans les entreprises des gens en charge de cela. La mise en œuvre appartient majoritairement à la direction informatique parce qu’il s’agit de flux informatiques avant tout. Mais la dématérialisation reste une problématique
véritablement transversale, et doit concerner tous les processus de l’entreprise en relation avec les services opérationnels. Car ce sont les services concernés en bout de chaîne qui peuvent expliquer et transmettre leur fonctionnement, leurs besoins et leurs demandes.
Selon la taille des entreprises l’organisation nécessaire à la mise en place de la dématérialisation ne sera pas la même : dans une PME de 40 personnes par exemple, ce sera du ressort du dirigeant seul, tandis que dans une entreprise de 200 ou 1 000 personnes, ce sera celui du service informatique. En tout état de cause, les services dédiés à la dématérialisation sont l’affaire de très grosses sociétés.
Les nouveaux territoires de l’entreprise récemment investis ? Au départ le document a été dématérialisé pour pouvoir être géré plus facilement. Il s’agissait d’une motivation pratique. Ça a été la première dématérialisation avec la GED. Ensuite il y avait des échanges vraiment axés sur les grands donneurs d’ordres de sous-traitants, pour gagner de la flexibilité, de la rapidité, aux frontières du travail collaboratif. C’est de ce type d’applications, qu’est née la dématérialisation, avec ce qu’on appelait l’EDI. Aujourd’hui la signature électronique désormais actée de façon légale, permet à deux PME de s’envoyer des recommandés ayant valeur probante. Ainsi il devient possible de ne plus avoir du tout de papier et de gérer de plus en plus d’échanges de documents, uniquement de façon électronique. Par ailleurs, d’autres thèmes avancent en ce moment autour des notions de sécurité et d’authentification, notamment la signature électronique et les coffres-forts électroniques.
Les derniers bastions de résistance ? Il n’y a pas de bastions de résistance à proprement parler, car c’est juste une question de temps. Il existe plutôt des petites résistances inconscientes. C’est une question de transformation d’habitudes et ceux qui ne prennent pas le train en marche risquent de disparaître. Mais il n’existe pas d’autres résistances car ce n’est pas dans l’intérêt des entreprises. En tout cas dans le champ d’application de la dématérialisation puisque la production physique ou la logistique par exemple ne seront jamais dématérialisées !
En revanche tout ce qui est information au sens large a vocation à se dématérialiser progressivement. Il y a trois 3 ou 4 ans encore, pouvaient exister des freins technologiques comme l’absence de signature électronique vis-à-vis de certaines administrations, mais là aussi ces verrous sont en train de tomber.
Par Pierre Havez
www.lenouveleconomiste.fr