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17 septembre 2012L’Etat a-t-il eu raison de financer des grandes entreprises dans le domaine du Cloud Computing ? Non répond Jules-Henri Gavetti, PDG d’Ikoula, qui parle de « concurrence déloyale. » Pour Philippe Tavernier, dirigeant de Numergy, ce choix était nécessaire pour lutter contre les géants américains.
En discussion depuis plusieurs années, le projet de Cloud public Andromède s’est concrétisé la semaine dernière au travers de la création de Numergy et de Cloudwatt, deux sociétés nées de partenariats public-privé avec SFR et Bull d’un côté, et Orange et Thales d’un autre côté.
Si Arnaud Montebourg, Fleur Pellerin et Louis Gallois (commissaire général à l’Investissement) se sont félicités du lancement des deux « premières centrales numériques de confiance françaises », des entreprises françaises du Cloud et de l’hébergement expriment elles craintes et critiques à l’égard de ces initiatives.
« Il existe déjà une filière de fournisseurs d’IaaS »
Jules-Henri Gavetti, PDG d’Ikoula, une PME fondée en 1998, prend part à la fronde. Car pour lui, Numergy et Cloudwatt pourraient bien mettre en péril l’écosystème existant du marché national du Cloud.
« Mes critiques ne visent pas Andromède à proprement parler. Mais à l’origine, Andromède a été présenté comme une réponse aux besoins d’hébergement de projets critiques et de défense de l’Etat. Puis nous avons découvert que ces nouveaux acteurs souhaitaient développer une offre de services à destination des PME, c’est-à-dire notre marché et celui d’un certain nombre d’autres entreprises déjà implantées. »
« C’est pour cette raison que je sors de ma réserve. Il existe déjà une filière de fournisseurs d’IaaS qui proposent des offres équivalentes à celles de Numergy et Cloudwatt. Et ces prestataires sont généralement français, fiscalisés en France, et avec des datacenters implantés sur le territoire. Il n’y a aucune raison sur le marché des PME-PMI de lancer deux acteurs bénéficiant du label et du sponsoring de l’Etat, ce au risque de désorganiser et pénaliser toute une filière, qui, que je sache, n’a jamais été contactée ni consultée » regrette Jules-Henri Gavetti.
Pour Philippe Tavernier, fraîchement nommé à la tête de Numergy, fruit du partenariat de Bull, SFR et de la Caisse des dépôts (CDC), ces arguments ne tiennent pas.
« Si les secteurs critiques et sensibles de l’Etat avaient été la seule cible de départ, celui-ci n’aurait pas souhaité un partenariat public-privé et aurait créé sa propre structure […] dès le départ, il a été prévu qu’Andromède s’adresse aux PME […] Peut-être Jules-Henri Gavetti n’a-t-il pas bien compris ou voulu comprendre quel était l’objet d’Andromède. Mais je ne veux pas polémiquer » répond-t-il ainsi.
« Il y a de la place pour tous sur le marché du Cloud »
« Il y a de la place pour tous sur le marché du Cloud Computing. A l’horizon 2016, le marché français du Cloud public représentera trois milliards d’euros. Notre ambition c’est 15% de part de marché. Cela laisse 85% pour le reste des acteurs. On ne peut pas dire que ce soit hégémonique » ajoute Philippe Tavernier.
Mais pour le PDG d’Ikoula, le développement de ces deux Cloud financés par des fonds publics se fera bien au détriment des fournisseurs en place. Et ce grâce à un atout indéniable : « la garantie de l’Etat. » Un avantage compétitif source « de concurrence déloyale » ou de « distorsions fortes de concurrence » selon le dirigeant.
« Cet avantage qu’est la garantie de l’Etat, nous ne pourrons jamais l’avoir. Cela va jeter un trouble auprès des clients, grandes et petites entreprises, qui étudient actuellement l’opportunité de migrer vers le Cloud » s’inquiète Jules-Henri Gavetti.
La présence de la CDC dans l’actionnariat de Numergy et Cloudwatt, et au travers d’elle, l’implication directe de l’Etat, équivaudrait à l’attribution d’un label de confiance. Cet argument pourrait ainsi peser dans le choix de prestataire des clients. Le patron de Numergy ne le réfute pas.
« A priori oui » reconnaît-il, tout en relativisant la portée d’un tel « label ». « Il faudra le démontrer » sur le marché, considère Philippe Tavernier. « A nous de promouvoir ce label France. Mais au final, le marché reste totalement libre et il ne faut pas croire que les clients nous seront acquis. Il faudra aller les chercher, avec en face de nous des poids lourds. La bagarre se joue sur un autre terrain. »
« Le discours c’est : il faut plus d’ETI en France »
Mais au-delà d’Andromède se posent aussi des questions de politique industrielle en matière de numérique, et notamment celle du soutien aux PME françaises. « Les PME françaises naissent petites (en effectifs et en capitaux propres) et peinent par la suite à combler leur retard pour grandir, innover et exporter ». C’est le constat fait en juin dernier par Fleur Pellerin à l’occasion du Salon Planète PME.
Face à cette situation, la ministre s’engageait à prendre « toutes les dispositions nécessaires pour briser le plafond de verre qui fragilise les PME dans leur expansion et pour mieux les accompagner aux différents stades de leur développement. »
En apportant son soutien financier à des entreprises pesant déjà plus d’un milliard d’euros de chiffre d’affaires, la France n’a-t-elle pas manqué avec Andromède l’occasion de contribuer à faire naître de nouveaux champions nationaux et à briser ce « plafond de verre » ? C’est le sentiment partagé par le PDG d’Ikoula.
« Le discours c’est : il faut plus d’ETI en France. Mais les actes ne sont pas cohérents par rapport à ce qu’on nous annonce. Pourtant, si on souhaite réellement créer des acteurs européens, encore faut-il encourager nos PME innovantes » juge Jules-Henri Gavetti, qui préconise d’autres orientations en termes d’investissements.
« En face de nous, il y a des géants »
« Je voudrais qu’on comprenne que le schéma numérique de la France ne passe pas uniquement par le développement du haut et très haut débit pour les particuliers, mais également par le fait de donner accès au THD aux entreprises installées en province. Il faut désenclaver numériquement les entreprises de l’IT » soutient-il, appelant parallèlement à développer des solutions de financement pour nos « pépites » françaises.
Sans entrer dans ce débat autour de la politique numérique de la France, le directeur général de Numergy insiste sur la concurrence qui caractérise le marché du Cloud Computing et sur la nécessité de rivaliser avec les géants américains.
« Si la France veut voir émerger des champions nationaux sur le marché du Cloud, il faut mettre les moyens. La compétition se fait avec les champions disposant d’importants moyens capitalistiques. Car en face à nous, il y a des géants. C’est face à des sociétés comme Amazon, Google, Microsoft que se joue la concurrence. Dans ce contexte, la pérennité de l’acteur, son image, sa solidité ont un poids bien réel » déclare Philippe Tavernier, justifiant ainsi le choix pour Andromède de grands acteurs français.
Thierry Barbaut
www.zdnet.fr