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24 novembre 2017Congo TechDays 2018 en RDC
26 mai 2018Malgré les scandales de piratage et la forte volatilité qui émaillent leur parcours, les cryptomonnaies sont en plein essor en Afrique. Naguère réservé à un cercle restreint de spéculateurs, ce phénomène qui affole la planète finance touche de plus en plus l’économie réelle.
Un peu partout sur le continent, le Bitcoin et ses congénères servent déjà d’actifs financiers très prisés par les investisseurs, de moyens de paiement, de portefeuilles d’épargne, et même d’outils de levée de fonds pour les entreprises.
Alors que les gourous de la finance traditionnelle tergiversent encore sur le classement des cryptomonnaies dans la case de titres financiers ou dans celle de véritables monnaies pouvant être utilisées pour effectuer toutes sortes de transactions, l’Afrique est entrée de plain-pied dans l’ère de la monnaie alternative 2.0. Ce continent très perméable aux innovations technologiques, qui avait déjà pris une longueur d’avance par rapport aux autres régions du monde dans le domaine du mobile money, est devenu un nouvel eldorado pour ces monnaies numériques générées par «minage», des calculs informatiques très complexes, dans le cadre d’un système décentralisé sans contrôle ou régulation des Banques centrales, et qui conserve les transactions dans une base de données publique et ultra-sécurisée nommée la blockchain.
L’Afrique, nouvel eldorado pour les monnaies numériques
Le Bitcoin, l’Ethereum, le Litecoin, le Ripple, le Dash et autres bouts de code informatique qui s’échangent comme des devises, sont en train de gagner leurs lettres de noblesses dans de nombreux pays du continent, dont l’Afrique du Sud, le Nigeria, le Ghana, le Kenya, le Zimbabwe, l’Ouganda et le Soudan.
Le Bitcoin, l’Ethereum, le Litecoin, le Ripple, le Dash et autres bouts de code informatique qui s’échangent comme des devises, sont en train de gagner leurs lettres de noblesses dans de nombreux pays du continent.
En 2017, le volume d’échanges de bitcoins au Nigeria a enregistré une croissance de 1500% comparativement à 2016, soit le deuxième plus haut taux de croissance à l’échelle mondiale après celui de la Chine. Durant le mois d’avril dernier, le volume d’échanges hebdomadaire de la plus célèbre des monnaies virtuelles a atteint 4,3 millions de dollars, un niveau identique à celui enregistré au cours de la même période au Canada, selon des données publiées par Paxful, une plateforme d’échange de bitcoins pair-à-par (P2P).
Paxful a également annoncé en mars dernier qu’elle réalise en moyenne un volume de 40 millions de dollars par mois en Afrique. Ce leader mondial d’échange de bitcoins P2P, qui offre plus de 300 modes de paiement allant du cash aux cartes cadeaux en passant par Paypal et les cartes bancaires, a par ailleurs fait savoir que le Nigeria et le Ghana occupent respectivement le 2è et le 3è rangs dans le classement de ses plus grands marchés en termes de volume, derrière les Etats-Unis.
Chankura Crypto Exchange, une plateforme sud-africaine d’échange de monnaies digitales basée dans la Silicon Valley, a estimé quant, à elle, le volume quotidien moyen des bitcoins échangés en Afrique du Sud et au Nigeria durant l’année écoulée à 3,6 millions de dollars.
«L’Afrique du Sud et le Nigeria ont connu une croissance significative dans le domaine de l’échange de bitcoins sur des plateformes locales. Plus de 3,6 millions de dollars sont échangés quotidiennement dans ceux deux pays. D’autres pays africains tels que le Kenya, le Ghana et le Maroc disposent aussi d’importants volumes qui restent cependant difficiles à retracer, en raison du manque de plateformes d’échanges locales», souligne Thabang Mashiloane, directeur général et cofondateur de Chankura Crypto Exchange.
Le Nigeria et le Ghana occupent respectivement le 2è et le 3è rangs dans le classement de ses plus grands marchés en termes de volume, derrière les Etats-Unis.
Le Nigeria, 3è détenteur de bitcoins au monde en pourcentage du PIB
Selon un rapport publié en janvier dernier par la banque américaine Citibank, trois pays africains figurent dans le Top 10 mondial des plus gros détenteurs de bitcoins en pourcentage du PIB. Il s’agit du Nigeria, où la valeur des bitcoins détenus par les investisseurs représente 3,4% du PIB du pays en 2017, du Kenya (2,3% du PIB) et de l’Afrique du Sud (2,1%).
L’appétit des Africains pour le bitcoin n’a pas été affecté par le Krach du début 2018.
Fait surprenant, l’appétit des Africains pour le bitcoin n’a pas été affecté par le Krach de cette monnaie survenu début 2018.
«L’activité du trading des bitcoins n’a pas été du tout impactée par la chute libre du prix de cette monnaie numérique, qui est passé sous la barre de 6 000 dollars le 6 février dernier après avoir frôlé les 20 0000 dollars à la mi-décembre 2017. Pour la majorité des investisseurs africains, l’effondrement des prix a même représenté une occasion pour acheter plus de bitcoin au rabais», relève Phuong Nguyen, vice-président de Remitano, une importante plateforme continentale d’échanges de bitcoins.
Flairant le bon coup, les plateformes de négociation de cryptomonnaies et des start-up spécialisées se ruent sur le continent. Durant l’année écoulée, quinze nouvelles plateformes de trading ciblant essentiellement les pays d’Afrique subsaharienne ont été lancées.
Les fintech allemandes MyBucks et Naga Group ont d’autre part signé en avril dernier un accord de partenariat pour permettre à 1,5 million d’Africains d’échanger des cryptomonnaies. Le partenariat prévoit l’implémentation du portefeuille multi-cryptomonnaies de Naga Group sur l’interface client et le portefeuille de mobile money de MyBucks afin de permettre aux utilisateurs d’envoyer et de recevoir des paiements en monnaies virtuelles par e-mail et de les convertir en espèces.
Flairant le bon coup, les plateformes de négociation de cryptomonnaies et des start-up spécialisées se ruent sur le continent. Durant l’année écoulée, quinze nouvelles plateformes de trading ciblant essentiellement les pays d’Afrique subsaharienne ont été lancées.
La start-up kenyane BlazeBay a lancé en février dernier la première cryptomonnaie africaine baptisé «Nurucoin». Cette monnaie numérique cible essentiellement les entreprises et les investisseurs opérant dans le secteur du commerce électronique.
Le Nurucoin, la première cryptomonnaie africaine.
De son côté, la société sud-africaine Trapeace Holdings a, annoncé en avril dernier qu’elle s’apprêtait à lancer une cryptomonnaie 100% africaine en partenariat avec Cornet PTE, une firme singapourienne spécialisée dans le placement initial Coin (Initial Coin Offering). Baptisée Africa Master Coin, cette cryptomonnaie devrait être lancée vers la fin de l’année en cours, pour un usage exclusif en Afrique. Elle sera basée sur l’utilisation de jetons (tokens) échangeables qui seront fixés à une valeur constante aux monnaies locales.
Luno, la première plateforme d’échange de cryptomonnaies en Afrique, dont le tour de table compte des investisseurs de premier plan, comme le groupe multimédia sud-africain Naspers, vise milliard d’utilisateurs d’ici 2025.
Luno, la première plateforme d’échange de cryptomonnaies en Afrique, envisage, quant à elle, de jouer des coudes avec les leaders mondiaux de l’industrie. La compagnie, dont le tour de table compte des investisseurs de premier plan, comme le groupe multimédia sud-africain Naspers, vise le milliard d’utilisateurs d’ici 2025.
Luno vise le milliard d’utilisateurs d’ici 2025.
Luno, qui compte actuellement 1,5 million d’utilisateurs dans 40 pays, s’appuiera notamment sur un portefeuille mobile ainsi que sur ses services d’échange et d’intégration marchande pour le Bitcoin et l’Ethereum. Il s’agit de jouer dans la cour des grands.
Bouclier contre l’hyperinflation et outil de levées de fonds
En Afrique comme ailleurs, les monnaies dématérialisées ne sont plus la chasse gardée d’un cercle restreint de millenials, ces «digital natives» âgés 15 à 35 ans qui cherchent à s’enrichir en spéculant sur un actif numérique.
Outre les achats courants, le e-commerce, les crédits entre particuliers et le paiement des fournisseurs, les monnaies cryptées servent de bouclier contre l’inflation galopante, notamment au Zimbabwe, en Ouganda et au Nigeria. «Les Africains convertissent leur épargne en cryptomonnaie pour la préserver de l’hyperinflation. La monnaie fiduciaire nigériane, le naira, a par exemple perdu 90% de sa valeur par rapport au dollar américain et à l’Euro au cours des deux dernières années alors que le bitcoin a réalisé une hausse spectaculaire de plus de 1000% sur la seule année 2017», explique co-fondateur de la plateforme Paxful, Ray Youssef.
Ray Youssef, co-fondateur de la plateforme Paxful.
« La monnaie fiduciaire nigériane, le naira, a par exemple perdu 90% de sa valeur par rapport au dollar américain et à l’Euro au cours des deux dernières années alors que le bitcoin a réalisé une hausse spectaculaire de plus de 1000% sur la seule année 2017»
Au Zimbabwe, 37% des détenteurs de bitcoins cherchent à protéger leurs bas de laine d’une forte dépréciation dans un pays qui a perdu près de la moitié de son PIB depuis les années 2000 et où plus de 80 % de la population est au chômage, selon le fondateur de la plateforme d’échange Golix, Verengai Mabika.
Les monnaies numériques sont également de plus en plus utilisées pour les transferts de fonds effectués par les migrants africains, notamment au Ghana, au Zimbabwe, en Ouganda, en Sierra Leone et au Rwanda, grâce à des plateformes spécialisées comme NairaEx (Nigeria), Abra (Malawi et Maroc) et GeoPay (Afrique du Sud).
Verengai Mabika, fondateur de la plateforme d’échange Golix.
En Afrique du Sud, l’école de commerce Red &Yellow a fait parler d’elle en janvier dernier quand elle avait annoncé l’acceptation du paiement des frais de scolarité en bitcoins.
«De nombreux jeunes qui ont fait un bon retour sur leur investissement dans les cryptomonnaies veulent utiliser cet argent numérique pour investir dans leur éducation. Ce sont exactement ces étudiants que nous voulons, les plus avant-gardistes, parce qu’ils seront les chefs d’entreprise de demain», a argumenté le président du conseil d’administration de l’école, Rob Stokes.
«De nombreux jeunes qui ont fait un bon retour sur leur investissement dans les cryptomonnaies veulent utiliser cet argent numérique pour investir dans leur éducation.»
Dans certains pays du continent, les acteurs des cryptomonnaies ont aussi réalisé des levées de fonds pour les entreprises grâce aux Initial Coin Offerings (ICO), une technique à la croisée du crowdfunding, de la blockchain et des introductions en Bourse. En janvier dernier, la plateforme SureRemit a lancé un ICO dans le cadre duquel des investisseurs ont acheté en deux jours 500 millions de «tokens» d’une valeur de 7 millions de dollars. Cette levée de fonds a permis à SureRemit de financer son incursion sur le marché des transferts de fonds transfrontaliers en cryptomonnaies.
La start-up sud-africaine Faceter, qui développe des solutions intelligentes de vidéosurveillance, a levé, quant à elle, 10 millions de dollars en 20 secondes, à travers l’émission de 116,2 millions de jetons qui ont été acquis par 8000 investisseurs originaires de 152 pays.
Vers un durcissement de la régulation des monnaies virtuelles ?
En mars dernier, le Conseil de stabilité financière (FSB), qui coordonne la réglementation financière pour les pays du G20, a rejeté appels de plusieurs pays qui demandaient une régulation des cryptomonnaies, estimant que ces crypto-actifs «ne font pas courir de risque à la stabilité financière mondiale pour le moment». Mais certains pays africains ont déjà exprimé leur volonté d’encadrer et de réguler l’usage de ces monnaies virtuelles.
Le gouverneur de la Banque centrale du Nigeria, Godwin Emefiele, a récemment mis en garde les investisseurs en bitcoins, estimant que «les cryptomonnaies sont comme un pari». Le Sénat nigérian a aussi lancé une enquête sur «la viabilité du bitcoin comme forme d’investissement », tandis que le Maroc et l’Algérie ont annoncé l’interdiction formelle des cryptomonnaies.
Le Sénat nigérian a aussi lancé une enquête sur «la viabilité du bitcoin comme forme d’investissement», tandis que le Maroc et l’Algérie ont annoncé l’interdiction formelle des cryptomonnaies.
«Le bitcoin n’est pas une monnaie. Économiquement une monnaie répond à trois fonctions, comme je l’ai dit au conseil ce matin, c’est un moyen de paiement, c’est une réserve de valeurs et un instrument d’épargne. Le bitcoin est un instrument hautement spéculatif. La meilleure preuve en est des hackers qui sont en train d’attaquer de façon invraisemblable les plateformes avec des pertes importantes», a plaidé le gouverneur de la Banque centrale marocaine, Abdellatif Jouahri.
Godwin Emefiele : «Les cryptomonnaies sont comme un pari».
L’Algérie a motivé sa décision par le fait que «les autorités souhaitent instaurer un contrôle plus strict sur ce genre de transactions numériques, qui peuvent être utilisées pour le trafic de drogue, l’évasion fiscale, et le blanchiment d’argent grâce à l’anonymat garanti de ses utilisateurs».
Le service de contrôle des revenus sud-africain (SARS) a, quant à lui, appelé les contribuables à déclarer les gains ou les pertes réalisés lors de l’achat ou la vente de cryptomonnaies, indiquant qu’il allait coordonner avec les entreprises opérant sans le secteur pour assurer le suivi des transactions.
Professeur d’économie politique à l’Université de Pretoria, Lorenzo Fioramonti, pense cependant qu’un éventuel durcissement de la régulation ne freinera pas l’essor des monnaies cryptographiques en Afrique. «A travers le monde entier, les gouvernements ont déjà essayé de sévir contre les cryptomonnaies. Mais il est très difficile de contrôler un phénomène qui se passe entièrement sur Internet. Comme cela s’est déjà produit dans le passé, les gouvernements finiront par abandonner», présage cet auteur du livre «L’économie du bien-être: le succès dans un monde sans croissance» (Wellbeing Economy: Success in a World Without Growth).
Selon lui, les monnaies numériques devraient continuer à gagner du terrain durant les prochaines années… jusqu’à l’occuper en totalité ?
Walid Kéfi